Gentilshommes verriers en Languedoc

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Sommaire

I.    La verrerie artisanale aux temps anciens.

II.   Les verriers lorrains et normands.

III.  Organisation corporative des verriers languedociens.

IV.  QuĠest-ce quĠun noble ?

V. Verrier et noble.

Faut-il tre noble pour tre verrier ?

Le mŽtier de verrier anoblit-il ?

Conclusions.

ANNEXE 1 Liste chronologique non exhaustive de textes sur les privilges des verriers.

             2 Visite de Thomas Platter en pays verrier (1595).
             3 Histoire de l'ArmŽe de CondŽ Theodore Muret Paris 1844.

 

Sources

BARRELET (James), La verrerie en France de lĠŽpoque gallo-romain ˆ nos jours, Paris, Larousse, 1954.

LA GRANDE ENCYCLOPEDIE  sous la direction de  MM Berthelot etc., H. Lamirault, 1885-1892.

JOURDAN, Recueil gŽnŽral des anciennes lois franaises, Plon, PrŽface 1824.

ENCYCLOPƒDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNƒ DES SCIENCES DES ARTS ET DES MƒTIERS,[1]

fac-similŽ de la 1re Ždition, 1751-1780, Stuttgart, Bad Cannstatt,1967.

E.O. LAMI, Dictionnaire encyclopŽdique et biographique de lĠindustrie et des Arts industriels, 1888.

SAINT-QUIRIN, Les verriers du Languedoc 1290-1790, fac-similŽ de lĠŽdition de 1904, rŽŽditŽe en 1985.

PIGANIOL, Le verre, son histoire, sa technique, Hachette, 1965.

POCHET. LE COURVAL, Les Ma”tres du verre et du feu, Perrin, 1998.

FAVIER, Dictionnaire de la France mŽdiŽvale, Fayard, 1993.

MOURRE, Dictionnaire encyclopŽdique dĠhistoire, Bordas, 1996.

ALPHA, La grande encyclopŽdie universelle en couleurs, Grange Batelire, Paris, 1977.

LE ROBERT, Dictionnaire alphabŽtique et analogique de la Langue Franaise, Paris, 1980.

WERNER (Karl Ferdinand), Naissance de la noblesse, Fayard, 1998.

 

Denis de la Roque, sieur de la Combe, un de mes anctres, qui vivait au XVIIesicle ˆ Lespinassire, petit village de la Montagne Noire, aux confins de lĠAude, du Tarn et de lĠHŽrault, Žtait dit Ç gentilhomme verrier È. Qui Žtaient ces gentilshommes, pourquoi et comment se disaient-ils nobles ? La question peut encore soulever des passions chez leurs descendants. LĠobjet de cette note est de proposer quelques documents pour Žclairer le dŽbat.

 

I.   La verrerie artisanale aux temps anciens.

On sait fabriquer du verre, le faonner et le dŽcorer depuis la plus haute antiquitŽ.

                

                            

 (Pochet)

 

Produit de lĠart du feu le verre, comme le bronze, appara”t vers le IIIe millŽnaire av.J.-C.. Fragile et cožteux, le verre nĠest utilisŽ alors que  comme objet de luxe : bijoux, flacons ˆ parfum. Quant ˆ la technique du soufflage, dĠaprs les historiens, elle ne se serait rŽpandue que peu de temps avant le dŽbut de notre re.

Le verre est obtenu en portant un mŽlange de sable et dĠÒalcaliÓ ˆ une tempŽrature dĠau moins 1300Ħ. LĠalcali dŽsigne ici des sels de potassium et de sodium. On extrayait, le nitre (dĠo le symbole Na du sodium),  qui est du carbonate de sodium - dont on connaissait les propriŽtŽs dŽgraissantes -, au Moyen Orient dans des gisements naturels ; la roquette Žtait produite par combustion de plantes du dŽsert ou du littoral mŽditerranŽen ; lĠune dĠelle, le kali ou cali, mot dĠorigine arabe dĠo vient  lĠalcali, a donnŽ le symbole du potassium, Ka ; plus tard on utilisa les cendres de vŽgŽtaux courants, riches en sel de potasse - par exemple des cendres de fougre, ou plus simplement de bois de htres (fau) -, les mmes que celles qui Žtaient utilisŽes pour faire la lessive. Les verreries du Languedoc utilisaient la Òpierre de salicor[2]Ó. Quoique en dise lĠEncyclopŽdie, ces verreries parvenaient ˆ faire des productions de qualitŽ comme cette aiguire. La verrerie installŽe dans la clairire de Peyre Moutou (Fort domaniale de Nore au Sud-Est de Mazamet) produisit des pices figurant dans les musŽes ou les collections privŽes.

 

 

 

  

Aiguire, Languedoc, fin XVIIe, Col. Barrelet.

 

Il est remarquable que les anciens, qui nĠavaient aucune connaissance de notre chimie moderne et de notre analyse en ŽlŽments atomiques (silicium, sodium, potassiumÉ) et sĠen sont tenus jusquĠˆ la fin du  XVIIIe sicle aux notions des quatre ÒprincipesÓ, la terre, lĠeau, le feu, lĠair, aient pu, par leur seule expŽrience, accumulŽe en secrets de fabrication et en savoir-faire, parvenir ˆ ma”triser la fabrication du verre que nous ne comprenons que depuis ˆ peine plus de deux sicles. Les descriptions de la verrerie dans lĠEncyclopŽdie (1751-1772) font encore appel ˆ la ÒphlogistiqueÓ, et ce nĠest que peu de temps aprs, par les travaux de Lavoisier (1780-1790), que la chimie analytique devint opŽrationnelle.

On apprit depuis que le verre Žtait un silicate complexe qui, en se refroidissant, ne parvient pas normalement ˆ l'Žtat crisallin - dĠo son Žtat p‰teux - et nŽcessite, pour rŽduire sa tempŽrature de fusion, un fondant, oxyde de sodium ou de potassium. Un stabilisant, comme la chaux permet dĠŽviter quĠil soit ˆ la longue soluble dans lĠeau. En mŽlangeant de la magnŽsie ˆ la chaux on Žvite le phŽnomne de dŽvitrification (cristallisation intempestive du verre pendant sa solidification). Pour obtenir des verres plus blancs, qualitŽ recherchŽe pour la table, on emploie le bioxyde de manganse, MnO2 qui, en les oxydant, rŽduit les sels ferriques, Fe2O3, et dŽcolore le verre. Les cendres de bois de htre qui en contiennent pouvaient remplir ce r™le. Quant aux verres colorŽs, largement utilisŽs au Moyen ċge dans la fabrication des vitraux, ils sont obtenus par lĠaddition dĠoxydes mŽtalliques, cobalt, cuivre, fer, manganse, nickel. Ces ŽlŽments Žtaient contenus dans les impuretŽs des sables utilisŽs alors et dont lĠorigine suffisait ˆ expliquer les propriŽtŽs colorantes. CĠest ainsi que, ˆ  lĠŽpoque de la Haute Egypte, on pouvait obtenir de splendides objets bicolores comme ce vase en illustration ci-dessus.

Pour obtenir un verre de qualitŽ adaptŽe ˆ son usage les proportions de silice, de fondant, et de stabilisant doivent se tenir dans des limites assez Žtroites ( environ 60 ˆ 75% de silice, 10 ˆ 15% de fondant et autant de stabilisant). Or nos verriers nĠavaient aucun moyen analytique ; leurs techniques Žtaient purement empiriques. Ils essayaient des mŽlanges de sable et de cendres dans des proportions variables, allant par exemple de 2 ˆ 7 parties de cendres pour 8 dans le mŽlange et retenaient celle qui donnait le meilleur rŽsultat (EncyclopŽdie). Le r™le de la chaux comme celui du manganse Žtait inconnu mais non leur effet. La encore ce sont les matires premires, sable ou cendres, faites de mŽlanges qui les fournissaient. De tout temps on a ajoutŽ des verres de rebut au mŽlange, le calcin ou groisil ; incorporer une matire premire de qualitŽ connue Žtait le meilleur moyen pour contr™ler la qualitŽ de la production. CĠest ainsi quĠˆ Venise au XVe sicle le doge Contarini avait conclu un traitŽ avec le prince croisŽ dĠAntioche, BohŽmond VI pour organiser lĠexportation de verres syriens  brisŽs. Vers 1750, noble Jacques de la Croix de la Roque, syndic des gentilshommes verriers du Bas-Languedoc (voir ci-dessous III lĠorganisation de la profession dans ce ÒdŽpartementÓ) Ç supplie le baron dĠAsfeld, intendant de la Province, de dŽfendre le transport hors du Languedoc du verre cassŽ È, transport dont on sĠest Ç avisŽ depuis quelque temps et dont il rŽsulte que le verre actuellement fabriquŽ nĠest pas aussi solide que lorsquĠon pouvait y adjoindre du verre cassŽ È. Le syndic demande 3000 livres dĠamendes pour toute personne qui contreviendrait ˆ cette dŽcision.

 

 

 

(Piganiol)

 

Trs schŽmatiquement et en simplifiant, la fabrication peut tre dŽcrite de la manire suivante. Dans le four ˆ deux Žtages reprŽsentŽ ci-dessus, le bois, combustible pratiquement unique jusquĠˆ lĠre industrielle, est introduit par les arches infŽrieures ; la cheminŽe se trouve au centre ; il faut bržler environ deux cents stres de bois pour produire cent kilos de verre. Par les portes de lĠŽtage supŽrieur, les creusets en terre rŽfractaire, appelŽsÇ  pots È et contenant le mŽlange ˆ fondre, sont dŽposŽs sur la sole. Lorsque celui-ci est ˆ tempŽrature convenable, le Ç cueilleur È vient, avec sa canne, extraire du pot une certaine quantitŽ de verre en fusion puis passe sa canne au Ç bossier È qui obtient par soufflage et diverses manipulations lĠobjet recherchŽ. Des opŽrations de recuit peuvent tre pratiquŽes dans le four reprŽsentŽ ˆ lĠarrire sur lĠillustration.

JusquĠau Moyen Age, sauf pour des motifs dŽcoratifs, on ne fabriquait pas de verres plats. La production Žtait limitŽe ˆ la gobeleterie, verres, flacons, vases, coupes etc. Les vitres Žtaient pratiquement inconnues. La fabrication des vitraux, puis celles de vitres pour garnir les ouvertures des maisons, conduisit ˆ la fabrication de verres plats, appelŽs Ògros verresÓ, obtenus toujours ˆ partir dĠune Žbauche soufflŽe. Deux procŽdŽs Žtaient en vigueur celui du manchon ou cylindre, par lequel, aprs avoir fabriquŽ une sorte de bouteille, on en dŽveloppait le cylindre en le coupant suivant une gŽnŽratrice, et celui du plateau qui consistait ˆ obtenir une sorte de disque par centrifugation de la goutte de verre en fusion autour dĠune canne ; le disque Žtait ensuite dŽcoupŽ en rectangle. LĠinvention de ce procŽdŽ au XIVe sicle est due ˆ un verrier normand qui reut  ˆ cette occasion des privilges de Philippe le Bel. Ce fut le dŽbut dĠune certaine spŽcialisation de la Normandie dans la fabrication des verres plats qui nŽcessitait un grand savoir-faire. Le Languedoc se limitait ˆ la gobeleterie et les rares fabrications de verres plats y furent produites par des verriers venus dĠautres rŽgions (Saint-Quirin signale un Thietry dans  la Montagne Noire prs dĠArfons en 1642 et un Hennezel au bois de Cayroulet non loin de lˆ. Tous deux sont des Lorrains).

Gros consommateurs de bois les fours Žtaient installŽs dans les forts ou ˆ proximitŽ immŽdiate. On estimait ˆ deux mille le nombre de verreries en France au XVIe sicle (avant-propos historique de la rŽŽdition de lĠouvrage de Saint-Quirin). Ë lĠŽpoque gallo-romaine, les vestiges de verreries dans la moitiŽ sud sont pratiquement inexistants, en dehors de la vallŽe du Rh™ne au dessus dĠOrange. Barrelet a relevŽ 178 Žtablissements connus du Moyen-Age ˆ nos jours. Ils se rŽpartissent en sept Ç rŽgions È : au Nord de la rŽgion parisienne, en Haute Normandie, en Lorraine, dans le Centre, la VendŽe, le Languedoc et une partie de la Provence (rive gauche du Rh™ne). Ë la diffŽrence de lĠAngleterre qui avait rendu obligatoire le chauffage des fours au charbon ds le XVIIe sicle, la tradition du chauffage au bois subsista.

En Languedoc, la pression des pouvoirs publics (ƒtats du Languedoc et administration des Eaux et Forts), soucieux de conserver les forts, conjuguŽe ˆ la concurrence des manufactures du Nord, conduisit ˆ la fermeture progressive des verreries ˆ partir du milieu du XVIIIe sicle. Les quelques verreries au charbon qui parvinrent ˆ sĠinstaller ne durrent point ˆ lĠexception de celle dĠHŽrepian prs de BŽdarieux (34), qui rŽsista jusquĠˆ lĠaube du XIXe sicle. Ë Moussans, dans le Tarn, Žtaient encore en activitŽ jusquĠen 1893 un four ˆ bois et un four ˆ charbon (Saint-Quirin).

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II. Les verriers lorrains et normands.

Par des lettres de 1448, renouvelŽes en 1469 et 1526, Jean de Calabre avait concŽdŽ des privilges exceptionnels ˆ quatre familles lorraines (Annexe 1). Il est possible quĠelles fussent dŽjˆ nobles. En tout cas leur noblesse est confirmŽe ; leurs membres sont tenus pour chevalier, grade supŽrieur ˆ celui de simple Žcuyer. Les  privilges quĠils reoivent dŽpassent mme ceux de la noblesse. Ainsi, outre les privilges fiscaux dont jouissaient les nobles (exemption de taille, des aides etc. ), auxquels sĠajoutaient les droits de p‰turage de pche et de chasse, ils sont exempts des droits dĠost (service des armes dž par le vassal),  de giste (hŽbergement des troupes),  et de chevauchŽe (service des armes limitŽ ˆ une campagne). Ces privilges sont Žtendus aux Ç ouvriers de verre È (Barrelet). Les Ç gentilshommes verriers È, ˆ part peut-tre quelques propriŽtaires,  nĠŽtaient-ils pas des artisans vivant dĠun travail qui est avant tout manuel, ce qui permettait de les assimiler ˆ des Ç ouvriers È, certes de grand talent (voir ci-dessous la vie dĠun gentilhomme verrier normand) ? Les privilges exorbitants concŽdŽs au XVe sicle en Lorraine furent battus en brche, dĠune part par lĠadministration notamment en ce qui concerne lĠexploitation des forts, et dĠautre part par la noblesse elle-mme dont les reprŽsentants ne voulurent plus voir siŽger ˆ cotŽ dĠeux dans les assemblŽes les gentilshommes verriers. Par des actes de 1522, 1573, et 1585 ils obtinrent que le gouvernement ducal de Lorraine restreigne leurs privilges (Lami).

Des statuts semblables ˆ ceux de la Lorraine sont donnŽs en 1448 par le roi RenŽ[3] aux verriers de Provence.

Pour la Normandie, lĠhistoire a retenu aussi quatre familles, qui seraient descendantes des ducs de Normandie (Piganiol) : les Caqueray, les Brossard, les Bongars et les Le Vaillant (Barrelet). Point nĠest donc besoin de les anoblir mais ils auront le privilge de pouvoir exercer leur mŽtier sans dŽroger. LĠun dĠeux, Philippe de Caqueray, Žcuyer, sieur de Saint-Imes, reut en 1330 du roi Philippe VI le privilge dĠŽtablir une verrerie proche de Bezu-la-Fort (Eure) nommŽe verrerie de la Haye (Piganiol), moyennant une redevance annuelle de trois livres ou vingt boisseaux dĠavoine. Il y mit au point le procŽdŽ de fabrication de verre plat Òau plateauÓ (voir ci-dessus).

LĠacte (Pochet) remis par Anne Marie Louise dĠOrlŽans (la duchesse de Montpensier) ˆ AndrŽ de Monchy, pour exploiter deux verreries au Courval le 22 octobre 1671 est une Ç concession È assortie de dispositions dĠordre Žconomique (le cahier des charges). Cet acte confirme lĠautorisation dĠexploiter deux verreries en un lieu bien dŽfini de la fort dĠEu, avec le droit dĠuser du bois nŽcessaire (ce qui ne peut se faire quĠavec la permission du roi, qui dŽtient le pouvoir sur les forts). Le bŽnŽficiaire sĠinterdit de faire des dŽg‰ts ou dĠen laisser faire par ses employŽs. Il ne devra pas acheter du bois en dehors de ladite fort (exclusivitŽ). Quand aux autres privilges, notamment fiscaux ainsi que de non dŽrogeance, ils sont fixŽs par dĠautres rglements et ne sont pas ŽvoquŽs.

Piganiol utilisant lĠouvrage, paru en 1873, de Le Vaillant de la Fieffe, un descendant des verriers normands, donne des extraits du journal dĠun de ces Ç gentilshommes È, Le Vaillant de Charny, nŽ en 1725. Il note que, lorsquĠil nĠŽtait pas propriŽtaire de sa verrerie, ce qui Žtait  souvent le cas, le verrier sĠengageait pour la durŽe dĠune campagne : la rŽveillŽe. Ë dix-huit ans, Le Vaillant de Charny commence ˆ travailler comme Ç cueilleur È ˆ raison de 40 sols par jour, puis, au cours dĠune deuxime campagne il devient bossier et souffle le verre. Au cours des campagnes successives il devient plus expŽrimentŽ et  son salaire progresse ; en 1748 il a vingt-trois ans et gagne 3 livres 10 sols par jour, en 1750 il gagne 4 livres par jour. Le travail Žtait dur, douze heures par jour au moins.  Le ma”tre donnait le g”te et le couvert, et le personnel de la verrerie entretenait son cheval et son chien. Le  dimanche, aprs la messe, le gentilhomme, lĠŽpŽe au cotŽ rendait visite ˆ ses amis ou, si la verrerie Žtait trop isolŽe, restait avec le ma”tre de la verrerie ˆ parler ou ˆ jouer (voir aussi in fine annexe 2).

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III. Organisation corporative des verriers languedociens (Saint-Quirin).

Ë la mme Žpoque, en 1445, Charles VII octroie des privilges aux verriers du Languedoc. Nous en donnons un rŽsumŽ adaptŽ ˆ une forme moderne. Nous reviendrons sur le caractre noble et hŽrŽditaire de la profession dŽtaillant seulement dans ce chapitre son organisation et les privilges commerciaux et fiscaux associŽs.

1Ħ La ÒcharteÓ crŽe une juridiction spŽciale pour les verriers ; son sige est ˆ Sommires, ville du Gard  au Nord-Est de Montpellier, alors place forte royale dont le capitaine est viguier, fonction analogue ˆ celle de prŽv™t dans la France du Nord (Favier). Le viguier de Sommires est juge et conservateur de ces privilges.

DĠaprs Saint-Quirin, la juridiction est divisŽe en cinq dŽpartements [circonscriptions] verriers :

a) Haute-Guyenne, comprenant les ComtŽs de Foix et dĠArmagnac, les diocses de Comminges, Couserans, Rieux et Auch,

b) Fort de GrŽsigne [au Nord dĠAlbi], avec lĠAlbigeois, le Rouergue, le Bazadais [PrŽsidial de Bazas dans le Bordelais],

c) Moussans et Fourtou, comprenant les diocses de Narbonne, Alet et Saint-Pons,

d) Vivarais limitŽ au ÒMŽjannaisÓ, avec les forts de MŽjannes et de Lussan,

e) Bas-Languedoc, soit les diocses de N”mes, BŽziers, Maguelonne, Agde, Lodve, Montpellier.

LĠŽtendue de la juridiction dŽborde le Languedoc proprement dit et semble correspondre approximativement ˆ celle du Parlement de Toulouse.

Il y avait un syndic reprŽsentant les verriers par dŽpartement et pour lĠensemble un syndic gŽnŽral et quatre procureurs  (assemblŽe de 1656).

2Ħ Le viguier de Sommires a lĠexclusivitŽ de la justice pour les verriers ou leurs famille : Que ce soit en matire civile ou criminelle ils ne rŽpondent que devant lui et non devant le juge sŽculier ou ecclŽsiastique. SĠils subissent des dommages de tiers, cĠest au procureur du roi et, en partie devant ledit conservateur quĠils devront en rŽpondre.

3Ħ Les marchandises et les matires premires circulent librement, sans pŽages et autres subsides et droits aux entrŽes et sorties du royaume.

4Ħ Les nobles verriers sont exempts dĠimp™ts y compris sur les achats et ventes de bŽtail, de blŽ ou de produits agricoles sĠil sĠagit de leur propre production.

5Ħ Leurs matires premires et le bois sont payŽs Ç ˆ lĠestime È et Ç sans contredit È [de grŽ ˆ grŽ sans enchres].

6Ħ Nul verrier Žtranger ou hors du royaume ne peut importer sa marchandise en Languedoc [cependant on ne note pas dĠexclusivitŽ ˆ lĠintŽrieur du royaume].

7Ħ Pour prix de ces exclusivitŽs chaque four en activitŽ doit payer au roi une rente annuelle [redevance[4]]de 40 sols tournois.

8Ħ Cette rente nĠexempte pas les nobles verriers du service des armes [ceux de Lorraine en sont exempts], et en cas dĠempchement ils sont tenus dĠenvoyer un remplaant et de pourvoir ˆ son Žquipement.

9Ħ Les fournisseurs de soude rŽpondent devant le procureur des fraudes dont ils seraient responsables.

10Ħ Pour enregistrer leurs conseils, actes, procs et autres affaires, et recevoir le serment des nouveaux verriers, les nobles verriers prendront un notaire audit Sommires.

Saint-Quirin rend compte de quelques assemblŽes des gentilshommes verriers tenues ˆ Sommires au XVIIe et au XVIIIe sicle ˆ la demande des syndics de verriers de lĠun ou lĠautre des dŽpartements.

Lors de lĠassemblŽe tenue ˆ Sommires en avril 1656 devant Gaspard de la Croix de Castries[5], gouverneur de la ville, o se prŽsentent, eux ou leurs reprŽsentants, dĠaprs la liste de Saint-Quirin, environ soixante-cinq verriers (dont une dizaine de La Roque), lĠessentiel des rŽsolutions concerne lĠinterdiction dĠaccs ˆ la profession de non nobles.

En 1660, un nouveau gouverneur est nommŽ, TrŽmolet-Bucelly, marquis de Montpezat, Ç juge nŽ en cette qualitŽ des privilges des gentilshommes verriers du Haut et Bas-Languedoc, Haute Guyenne et ComtŽ de Foix È. Le nouveau gouverneur ne trouva pas le temps [ !] jusquĠen 1669 dĠaller prter ˆ Toulouse le serment exigŽ par sa charge. Il fut remplacŽ en 1672 par son fils a”nŽ Louis de Bucelly.

Une assemblŽe se tint en septembre 1718.

La dernire eut lieu les 7, 8, 9 10, et 11 octobre 1753 ; le vicomte de Narbonne Žtait alors Ç capitaine viguier et gouverneur de Sommires È. La convocation de lĠassemblŽe, faite ˆ la demande du  syndic du ComtŽ de Foix, et plusieurs fois retardŽe, sĠŽchelonna sur deux ans. Le pointage de la liste de Saint-Quirin montre environ 165 participants, certains arrivant dans les derniers jours. Une forte incitation ˆ la prŽsence (ou la reprŽsentation) est requise : Ç les verriers dŽfaillants sont condamnŽs ˆ lĠamende de 1000 livres, la dŽmolition de leurs fours et la confiscation de leurs outils È. Comme en Normandie et en Lorraine, mais sur des unitŽs probablement plus petites, consacrŽes uniquement ˆ la gobeleterie et aux bouteilles, on retrouve toujours les mmes familles : les Robert, omniprŽsents en diverses branches, les La Roque ou Laroque, Žgalement trs reprŽsentŽs, les Verbigier, les Grenier, les Noguiez  les Aigaliers, les AzŽmar et quelques autres.

Comme prŽcŽdemment, les rŽsolutions de lĠassemblŽe concernent essentiellement la rŽglementation de lĠaccs ˆ la profession : interdiction dĠaccepter des Žtrangers non nobles, ou de faire sociŽtŽ avec des roturiers, obligation aux nouveaux inscrits, surtout les Žtrangers, de faire leurs preuves devant les syndics de leur dŽpartement, interdiction ˆ tout gentilhomme de vendre ou faire vendre ses produits au dŽtail hors de sa verrerie, sous peine de dŽrogeance (cette vente doit tre faite par les marchands). Ç Toutefois ses domestiques et valets pourront transporter ˆ dos de mulet ses ouvrages dans les magasins des marchands qui ont fait lĠachat en gros. È

LĠhŽrŽditŽ du mŽtier de verrier nĠempchait pas les fils de faire leur apprentissage pour lequel des contrats Žtaient passŽs en  bonne et due forme comme pour dĠautres mŽtiers.

LĠassemblŽe de 1753 livrait un combat dĠarrire garde.

La conservation des forts, dont lĠexploitation, vitale pour lĠŽconomie de lĠŽpoque et la construction navale, Žtait un droit rŽgalien, donnait des inquiŽtudes ˆ ceux qui Žtaient chargŽs de la contr™ler. Le souci de prŽserver les ressources naturelles, que nous appelons respect de lĠenvironnement, nĠest pas seulement une prŽoccupation actuelle.

Les ƒtats GŽnŽraux du Languedoc [le Conseil RŽgional dĠaujourdĠhui] avaient dŽcidŽ en janvier, fŽvrier 1725 :

- quĠil serait dŽfendu dĠavoir des chvres [sic !] dans les communautŽs [entendons les communes],

- Ç que les verreries du Bas-Languedoc ne pourront plus travailler ˆ cause de lĠexcessive consommation des bois, sauf ˆ ceux qui voudront consentir de les Žtablir ˆ lĠEspŽron [au Sud-Est de lĠAigoual] ou autres montagnes dont le bois ne peut tre dĠaucune utilitŽ pour les habitants de la Province È.

Les forts Žtant soumises au contr™le royal, il appartenait au Conseil dĠƒtat de se prononcer. Un arrt fut pris le 7 aožt 1725 aux fins dĠarrter le dŽboisement et de contraindre les verriers ˆ se dŽplacer dans les rŽgions montagneuses et ˆ ne travailler que six mois par an. Aussit™t les gentilshommes verriers  y font opposition  et leur syndic, qui est alors un de la Roque, expose que Ç les montagnes o on veut les relŽguer sont inhabitables È. Ils nĠont pas de lettres patentes [qui, comme pour les verreries normandes, seraient de vŽritables titres autorisant lĠexploitation], mais ils revendiquent Ç une ancienne possession que personne ne peut leur contester. De plus ils ont payŽ au roi la confirmation de leurs privilges [la redevance] È.

Les choses restent en lĠŽtat jusquĠen 1743, date ˆ laquelle Anceau de Lavelanet, grand ma”tre des eaux et forts en la Province de Toulouse demande une  expertise. Jean Pitot et Pierre Souche, procureurs du roi, sont nommŽs en avril 1744 commissaires enquteurs avec pour mission de trouver des implantations convenables pour les verreries du Bas-Languedoc [les seules qui semblent avoir ŽtŽ visŽes]. Ils partent en tournŽe vers le Rouergue et le GŽvaudan, visitant au passage Rauret, Baumes (causse de Cazenove), Rouet, le bois de Montguilhem. Mais le mauvais temps les surprend [nous sommes pourtant au printemps] ; ils trouvent de la pluie et mme de la neige dans lĠEspŽron. LĠenqute reprend en juin par Bancels, Saint-FŽlix-de-Paillres, Bagards, Saint-Christol, Saint-Hilaire, le bois du Liron au nord de Lasalle, puis lĠEspŽrou, les Aubrets. Ils redescendent par le Vigan. En 1745, le roi ayant acceptŽ leurs conclusions, ils repartent pour les faire appliquer. Il faut noter que les frais dĠexpertise, dont nous connaissons le dŽtail, sont rŽglŽs par le syndic des verriers (Fulcrand de Laroque). Certains ont un sursis de sept ans pour sĠinstaller dans le Rouergue. En 1756 on constate que certaines verreries nĠont pas dŽmŽnagŽ. Il nĠy a plus trace dĠactes administratifs jusquĠˆ la RŽvolution  (Saint-Quirin). On sait quĠalors il nĠy a pratiquement plus de verreries en Languedoc, ˆ part une ou deux verreries au charbon et une verrerie au bois ˆ Moussans.

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IV. Qu'est-ce qu'un noble 

Il est trs difficile pour le non spŽcialiste de dŽfinir la notion de noble Ç en tant quĠappartenant ˆ la noblesse È, second Ç ordre È de lĠAncien RŽgime. Nous donnons deux dŽfinitions encyclopŽdiques.

ALPHA, article Noblesse :Ç Groupe social auquel lĠautoritŽ souveraine reconna”t, par la loi, des droits et privilges transmissibles hŽrŽditairement. È

Le ROBERT, article Noble : Ç Qui est ŽlevŽ au dessus des roturiers par sa naissance, par ses charges ou par la faveur du prince (Furetire) et appartient de ce fait ˆ une classe sociale privilŽgiŽ dans lĠEtat. È

(de nos jours en France) : Ç Qui possde des titres hŽrŽditaires le distinguant des autres citoyens[6]. È

Nous extrayons de lĠarticle cette citation de Furetire : Ç Les vrais Nobles sont les Nobles de race, de sang, dĠextraction. Les nouveaux Nobles sont ceux qui ont ŽtŽ anoblis par leurs charges, par leurs emplois et particulirement par les militaires. Les Nobles par lettres sont ceux qui ont obtenus lettres du Prince pour jouir du privilge des Nobles. È

Ë lĠarticle Noblesse le Robert rappelle lĠarticle 259 du Code PŽnal qui punit lĠusurpation dĠun titre de noblesse.

Nous notons que, par la premire dŽfinition, cĠest le groupe social qui est reconnu noble par la loi, alors que pour la deuxime, la noblesse Ç Žtant la condition du noble È, cĠest lui qui est reconnu : lĠoctroi de la noblesse est alors individuelle. Dans tous les cas il faut un document pour reconna”tre le noble, (lettres patentes individuelles ou certificat dĠappartenance au groupe anoblissant). Quant au caractre hŽrŽditaire - soit des privilges y attachŽs, soit du titre lui-mme - il est coexistant avec lĠŽtat noble. La difficultŽ cĠest que la notion de Ç noble È, au sens que nous recherchons, sĠest dŽfinie au cours des sicles depuis lĠŽpoque carolingienne[7] ˆ travers des institutions et sous une Ç autoritŽ souveraine È dont lĠexpression Žvolue progressivement de la tradition aux textes rŽglementaires[8].

Ç La noblesse de race tirait son origine des anciennes familles fŽodales, le roi se limitant ˆ entŽriner un Žtat de fait et ˆ le consacrer juridiquement È(Alpha). Au haut Moyen ċge, Ç le noble est essentiellement le soldat qui combat ˆ cheval, le chevalier È (Mourre). Il reoit une formation militaire et morale consacrŽe par la cŽrŽmonie de lĠadoubement. LĠorigine militaire est complŽtŽe par la possession dĠun fief[ 9]qui confre un droit hŽrŽditaire. Ç ÒPoint de seigneur sans terreÓ, disait‑t‑on, et le fief devint Ç terre noble È (Mourre). È CĠest lĠŽpoque fŽodale ou le seigneur, noble, jouit de droits rŽgaliens (guerres privŽes, droit de battre monnaie, de lever des imp™ts etc.).

Ç Ds le rgne de Philippe le Bel[10] apparut lĠanoblissement par Òlettres royauxÓ, ce qui crŽait une nouvelle noblesse, diffŽrente de la noblesse fŽodale, et devant entirement son ŽlŽvation au roi È (Mourre) . Comme les offices ces lettres devinrent vŽnales, Louis XIV en fit un large usage.

Avec la fin de la fŽodalitŽ au XVIe sicle sĠamora le dŽclin de la noblesse. Ç La plupart des nobles Žtaient rŽduits ˆ la pauvretŽ (Mourre, citant La Noue). È Ç Un certain nombre dĠemplois, offices ou charges entra”naient lĠanoblissement automatique de leur titulaire (Robert). È CĠest lĠapparition de la noblesse de robe, et de la noblesse de cloche liŽes ˆ des offices. On pouvait acheter leur transmission hŽrŽditaire (la paulette 1604). Parfois tout un groupe Žtait anobli : Ç Un Ždit de 1649 accorda la noblesse hŽrŽditaire aux membres du Parlement de Paris (Mourre). È Ç DĠaprs Necker, il y avait, ˆ la fin de lĠAncien RŽgime, environ quatre mille charges anoblissantes (dĦ). È

Le noble ne devait pas sĠadonner ˆ des activitŽs lucratives sous peine de dŽchŽance, mais Ç en de nombreux endroits les usages permettaient aux nobles dĠexercer des arts mŽcaniques[11] ; le roi autorisa la noblesse ˆ se livrer au commerce maritime (1629), au commerce de gros (Ždits de 1701 et 1765), et ˆ crŽer une manufacture royale.

Ç Ds le XVIe sicle apparut la multiplication des faux nobles : lĠordonnance de Blois (1579) confirma pourtant que lĠacquisition dĠun fief ne donnait pas droit automatiquement ˆ la noblesse, mais toutes sortes de gens de robe, de nŽgoce, de finance, ayant achetŽ un fief, Ò vivaient noblementÓ, sĠefforaient dĠŽchapper ˆ la taille et rŽussissaient ˆ se faire passer pour nobles(dĦ). È Les recherches ne rŽussissaient pas toujours ˆ dŽmasquer les usurpateurs. Ç Si [lĠun dĠeux] rŽussissait ˆ faire reconna”tre par un tribunal la paisible possession de privilges nobles depuis cent ans, sĠil pouvait convaincre les commissaires du roi chargŽs de dŽmasquer les faux nobles, il devenait juridiquement noble par des lettres de maintenue de noblesse (Alpha). È Nous connaissons une administration gouvernementale contemporaine chargŽe de financer le caractre innovant dĠun projet et dont un dirigeant disait avec humour : Ç un projet innovant est celui que notre administration qualifie dĠinnovant È. Il en est un peu de mme avec le caractre Ç noble È dĠun individu : est noble celui que la puissance publique reconna”t noble !

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V. Verrier et noble.

Faut-il tre noble pour tre verrier ?

Ç La principale [interrogation] consiste ˆ se demander si cĠest le mŽtier qui confre la noblesse ou la noblesse qui donne accs au mŽtier. Les gentilshommes verriers (É) sont trs attachŽs ˆ la seconde explication (É) (Pochet). È Un proverbe Žtait avancŽ pour soutenir cette thse : Ç Pour faire un gentilhomme verrier, il faut dĠabord prendre un gentilhomme È. Mais cet adage peut tre compris dans un sens tout diffŽrent : si lĠon est pas gentilhomme on ne peut devenir gentilhomme verrier mais rien nĠempche dĠtre verrier. DĠailleurs Henri IV dans les Ždits de 1603 et 1604 avait clairement prŽcisŽ : la profession de verrier ne suppose pas la noblesse (Voir annexe 1). Selon lĠexpression de Beneton de Perrin (citŽ par Barrelet) le mŽtier de verrier Ç devenait noble entre les mains dĠun noble et restait roturier dans celles dĠun roturier È. En Lorraine et en Normandie, des privilges de verriers ont ŽtŽ accordŽs ˆ des nobles. Comme le remarque Piganiol ces hommes, dŽtenteurs du prestige et des secrets qui sĠattachent ˆ lĠart du feu, Žtaient exercŽs au commandement, et souvent liŽs ˆ des fiefs dont les forts constituaient un patrimoine essentiel. Leur privilge essentiel ce fut dĠobtenir le privilge, assorti souvent dĠexclusivitŽ, de pouvoir exercer leur art sans dŽroger (ƒdits de 1603 et 1604).

Par ailleurs, comme montre le paragraphe suivant, des privilges anoblissants ont ŽtŽ concŽdŽs aux verriers au XVe sicle. Les  Ždits de Henri IV avaient aussi pour but de les restreindre.

 

Le mŽtier de verrier anoblit-il ?

Les soi-disant privilges de Philippe le Bel aux verriers de Champagne Žtant contestŽs (Barrelet), le premier texte citŽ par les ouvrages consultŽs est celui de Philippe VI en 1339 (Voir annexe 2) qui, constatant la noblesse dudit mŽtier, le rend hŽrŽditaire, comme le devinrent par la suite dĠautres mŽtiers (Mourre, article corporations). CĠest encore la noblesse du mŽtier qui est invoquŽe par Charles VI en 1399 (Voir annexe 2) pour ÒassimilerÓ en quelque sorte les verriers de Mouchamps ˆ la noblesse en leur confŽrant les mmes privilges.

Au milieu du XVe sicle, ˆ une Žpoque o lĠorganisation fŽodale dispara”t progressivement, trois rŽgions[12] ÒverriresÓ reoivent des chartes anoblissantes : le Languedoc rattachŽ ˆ la couronne de France dont le roi est Charles VII, la Lorraine et la Provence, qui ont toutes deux alors pour souverain le ÒRoi RenŽÓ. Nous remarquons que ces textes sont contemporains : 1445 pour le Languedoc, 1448 pour la Lorraine et la Provence. Nous avons vu que les Lorrains avaient reu les privilges les plus larges, dŽpassant ceux mmes des nobles qui avaient rŽagi. Saint-Quirin[13] nous fournit la charte languedocienne. Aprs avoir commentŽ ci-dessus la partie ÒcommercialeÓ, nous en rŽsumons les articles relatifs au statut des verriers.[14]

LĠarticle premier fait obligation au verrier dĠtre Ç noble et procrŽŽ de noble gŽnŽration et de gŽnŽalogie de verriers È. CĠest cet article qui fonde les gentilshommes verriers ˆ se dire Ç nobles dĠancienne gŽnŽration È. Saint‑Quirin, dont lĠouvrage comporte quelques belles envolŽes lyriques, reprend lĠidŽe que Ç les familles verrires remontent ˆ la plus ancienne noblesse È. Remarquant que plusieurs ont des noms germaniques (Granier, Robert, AdhŽmar), il y voit Ç des seigneurs envoyŽs par les rois francs ˆ lĠextrŽmitŽ de leurs domaines È. ƒvidemment il nĠa aucune preuve et, dans un autre chapitre (p.66), il exprime le doute :  Ç Il nĠa pu tre Žtabli si lĠart de la verrerie, ˆ cette Žpoque, Žtait lĠapanage exclusif des familles nobles, ou si le fait dĠexercer cet art confŽrait la noblesse È. Reprenons chaque terme. ÒNobleÓ : sans exclure la descendance dĠune noblesse fŽodale ou la possession lointaine dĠun ÒfiefÓ, nos verriers sont nobles car ils exercent un noble mŽtier ; Philippe VI et Charles VI ont soulignŽ cette noblesse. ÒProcrŽŽ de noble gŽnŽrationÓ : cĠest la filiation qui est en jeu ; nos verriers doivent tre fils de noble, Òet [pour les mmes raisons que leurs pres] de gŽnŽalogie de verriersÓ : cette prŽcision est importante, cĠest lĠascendance verrire qui est soulignŽe ; point de place pour un verrier de premire gŽnŽration qui ne serait pas fils de verrier.

LĠarticle deuxime prŽcise que les fils des filles Ç pourront exercer ledit art de verrier, pourvu que le pre desdites  filles soit noble et de noble gŽnŽration È. Ici se confirme lĠexclusivitŽ accordŽe ˆ ces nobles familles verrires pour exercer le mŽtier de verrier.

LĠarticle troisime interdit ledit art aux b‰tards.

LĠarticle quatrime confirme le premier par lĠexclusion dudit art de toute personne Ç qui ne soit procrŽŽ de noble et ancienne gŽnŽration È. Le qualificatif ancienne est ajoutŽ et ajoute ˆ lĠambigu•tŽ ; mais ancienne gŽnŽration peut signifier que le verrier doit tre fils de verrier et non de premire gŽnŽration. La profession est bien fermŽe.

Le quatrime article indique aussi les formalitŽs ˆ accomplir pour justifier de sa noblesse : on doit le faire devant le viguier de Sommires, (dans un dŽlai de deux mois si on habite la sŽnŽchaussŽe de Beaucaire, N”mes et pays du Languedoc, le dŽlai Žtant portŽ ˆ quatre mois si on habite en dehors), et prter serment. Saint-Quirin prŽcise par ailleurs que le viguier enregistre alors le nouveau au catalogue des gentilshommes exerant lĠart de verrerie. Le serment rappelle celui qui est prtŽ devant les jurŽs par les membres des corporations dans les ÒmŽtiers jurŽsÓ (Mourre).

Le douzime article interdit aux ma”tres de four de sĠassocier avec des Ç personnes nobles ou non nobles ni de gŽnŽration de noblesse ni de nobles verriers È ce qui laisserait ˆ penser que des non nobles pourraient tre admis sĠils font la preuve quĠils sont fils de verriers ( ?). Il rŽpte, ce qui ne peut tre que redondant - les redondances Žtant dĠusage trs frŽquent dans les actes anciens -, Ç [les ma”tres] ne prendront en leur compagnie quiconque, sĠil nĠest verrier et de propre gŽnŽration de verriers È ; lĠinfraction est passible dĠune amende de vingt-cinq marcs dĠargent au profit du roi ce qui est considŽrable[15].

Enfin le treizime article assure la continuitŽ du mŽtier Ç lorsquĠun ma”tre de four ou verrier est trŽpassŽ, la femme, veuve, enfants et familles du mort se doit jouir et user du privilge comme si le trŽpassŽ Žtait en vie jusques ˆ ce que les enfants soient en ‰ge lŽgitime È.

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Conclusions.

Les ma”tres verriers exercent un mŽtier noble. Aprs les vitraux qui Žclairaient les Žglises et la verroterie qui ornait les ch‰sses des saints, leur production artistique fournit en vaisselle la table des grands. Le verre ˆ vitres garnit les ouvertures des ch‰teaux avant celles des simples demeures. Ils dŽtiennent des secrets de fabrication qui doivent tre protŽgŽs. Des productions verrires sont importŽes ˆ grand frais dĠOrient, de Venise, de Bohme. Au XVe sicle, lĠautoritŽ souveraine octroie aux verriers, dont la profession rend dĠimportants services au pays,  les privilges de la noblesse avec lĠhŽrŽditŽ de leur mŽtier, et lĠexclusivitŽ de son exercice ˆ eux et ˆ leurs descendants, moyennant une redevance. SĠils sont dŽjˆ nobles, ils pourront pratiquer le mŽtier sans dŽroger. DĠautres mŽtiers ÒdĠart Ó peuvent faire lĠobjet dĠun anoblissement. Ainsi Henri IV, par un Ždit dĠaožt 1603  pris en faveur dĠentrepreneurs qui projettent de crŽer Ç une manufacture de draps et toiles dĠor, dĠargent et de soie ˆ Paris È, ÒdŽcoreÓ Ç  eux et leurs postŽritŽ nŽe et ˆ na”tre en loyal mariage  de qualitŽ de noblesse pour en jouir comme font les autres nobles de cestuy nostre royaume ˆ condition, toutefois, quĠils continueront et entretiendront lesdites manufactures lĠespace de douze annŽesÉ È.

Mais ds le XVIIe sicle, les productions verrires se vulgarisant, leurs privilges, notamment fiscaux, sont considŽrŽs comme excessifs. Henri IV - qui par ailleurs a concŽdŽ en 1597 aux frres Sarrode, gentilshommes en lĠart et science de verrerie, lĠexclusivitŽ dans un rayon de trente lieues autour de Paris des fabrications dĠune manufacture de cristal ˆ Žtablir ˆ Melun - donne un coup dĠarrt, et dŽcide en 1603 que les nouveaux verriers, sĠils ne sont pas dŽjˆ nobles, ne seront pas anoblis[16]. Leur noblesse est ralliŽe :

Votre noblesse est mince,

Car ce nĠest pas dĠun prince,

Daphnis, que vous sortez,

Gentilhomme de verre

Si vous tombez ˆ terre

Adieu vos qualitŽs.

                                    ( Maynard[17] Ñ v.1582-1646 Ñ contre Saint-Amand[18])

La diffŽrence avec la noblesse de race[19], cĠest que leur anoblissement est liŽ ˆ lĠexercice dĠun emploi. Ils doivent payer une rente annuelle pour continuer dĠexercer et de jouir de leurs privilges. En lĠabsence de lettres patentes cĠest ce paiement que le sieur de Laroque, leur syndic en Languedoc, invoque, outre Ç lĠanciennetŽ de leur possession È, dans son opposition ˆ lĠarrt du conseil dĠƒtat du 7 aožt 1725 (Saint Quirin).

Nos gentilshommes verriers nĠŽvoluent gure avec le progrs technique. Colbert crŽe en 1665 la manufacture royale, les associŽs peuvent tre pris dans tous les ordres, toujours sans dŽroger sĠils sont nobles. Les gentilshommes tentent de maintenir leurs privilges au sein de la compagnie estimant avoir seuls le droit de couper les glaces (Piganiol). On les supporta jusquĠˆ leur disparition du fait de lĠ‰ge (dĦ).

En Languedoc, o la fabrication reste trs artisanale, ils sont assignŽs ˆ dŽmŽnager dans les montagnes, rŽsistent aussi longtemps quĠils le peuvent, mais abandonnent presque tous la partie avant la RŽvolution, sĠestimant indignes de passer aux fours ˆ charbon dont les essais, sans lendemain dans la Province, seront conduits, malgrŽ leur protestations, par des roturiers. CĠest probablement ˆ eux que pense Mme de Genlis (1746-1830) qui attribue lĠorigine de leurs privilges au respect que lĠon a en France pour tout ce qui a rapport au vin, Ç respect que lĠon pousse au point de donner une espce de noblesse ˆ ceux qui font des bouteilles (citŽ par Piganiol) È. Dans sa monographie intitulŽe Ç Les verreries forestires et gentilhommes verriers de lĠAude [20]È, Robert Dupuy constate que peu de temps avant la RŽvolution Ç plus aucun des gentilshommes [de lĠAude]nĠest verrier, tous sont devenus roturiers et fort pauvres È.

Certains devinrent  ouvriers, ce quĠils nĠavaient jamais cessŽs dĠtre, et, animŽs par la tradition corporative, on leur attribue la premire coopŽrative ouvrire crŽe ˆ Rive de Gier aprs une grve de trois cents dix sept jours durant laquelle ils sĠŽtaient opposŽs ˆ lĠembauche dĠouvriers Žtrangers (introduction historique ˆ lĠŽdition de 1985 de lĠouvrage de Saint-Quirin).


ANNEXES

 

1 Liste chronologique non exhaustive de textes sur les privilges des verriers

XIVe sicle

Droit dĠemphytŽose perpŽtuelle sur un terrain reu de Humbert II, Dauphin du Viennois en faveur de Guyonnet. Droit dĠentrŽe 30 florins dĠor. Redevance annuelle en nature (objets en verre) (Barrelet).

1339. (Philippe VI) Ç Car, a cause de la noblesse dudit mŽtier, aucun ne peut ne doit tre receu a iceluy mestier sĠil nĠest nez et extraict par son pre dĠautres verriers (Saint-Quirin). È

1399. Ç Lettres royales È concŽdŽes par Charles VI aux verriers de Mouchamps (Bas Poitou) qui leur confrent des Ç franchises, libertez, droicts et privilgesÉ desquels usent et joyssent et ont accoustumŽ de joyr et user les aultres nobles du pays(É) ˆ cause de la noblesse dudict mŽtier [de verrier] È(Barrelet).

XVe sicle

1436. (24 mars). Lettres patentes de Charles VII (Saint-Quirin).

1445. Privilges de Charles VII aux gentilshommes verriers du pays du Languedoc, crŽant [ou confirmant] le viguier de Sommires comme juge et conservateur de  ces privilges. Copie du 21 avril 1656 collationnŽe par Marye, notaire royal de Montpellier (Saint-Quirin).

1448. Charte du Roi RenŽ (Provence) (Saint-Quirin).

1448 (lettres bržlŽes), renouvelŽes en 1469 et 1526. Lettres de Jean de Calabre gouverneur des duchŽs de Lorraine et de Bar, concŽdŽes aux quatre familles de verriers : les Hennezel, les Thietry, les Thisac et les Bisval Ç ˆ cause de leurs mestiers [ces verriers doivent tre] tenuz et reputez en telle franchise comme chevaliers, escuiers et gens nobles dudit duchiŽ de Lorraine È(Barrelet).

1475. Confirmation des lettres de 1436 par Louis XI (Saint-Quirin).

XVIe sicle

1522, 1573, 1585, suite aux plaintes des nobles [dĠextraction] dans les assemblŽes de noblesse, ceux-ci obtiennent du gouvernement ducal de Lorraine, la restriction des privilges des verriers (Lami).

1523 (4 septembre). Ordonnance de Franois Ier Ç aux gentilshommes de lĠart et science de verrerie en notre royaumeÈ rappelant les privilges des gentilshommes verriers et notamment lĠexemption des pŽages pour la circulation de leurs marchandises [tant pour la circulation des matires premires que pour celle des produits finis]. Copie de 1637 faite pour la cour de Bordeaux par noble homme Bastien de Noguier, verrier en 1637 (Saint-Quirin).

1565 (Toulouse, mars 1565). Confirmation par Charles IX de lĠordonnance de Franois Ier.. Copie trouvŽe entre les mains de noble Pierre Riols, verrier, habitant aux verreries hautes de Moussans, sans date (Saint-Quirin).

1566. Ordonnance royale reconnaissant que les verreries de Moussans (HŽrault) sont en possession Ç immŽmoriale È de leurs privilges. Une fleur de lys dŽcore leur ch‰teau (signalŽ par Saint-Quirin).

1592 (20 novembre). Lettres de Henri IV(Saint-Quirin).

XVIIe sicle

1601. Arrt dĠHenri IV ÒrŽglant dŽfinitivement la question des privilges verriersÓ (Barrelet).

1603. Lettres patentes dĠHenri IV ˆ des verriers de lĠArgonne [Les Trois ƒvŽchŽs ?[21]] portant maintien de faire le commerce de verrerie sans dŽroger, mais seulement sĠils Žtaient dĠextraction noble (Barrelet).

1603 et 1604 Henri IV, saisi des rŽclamations des nobles et de plaintes de verriers lorrains [voir ci-dessus] statua en ces termes :  Ç La profession de verrier ne suppose pas la noblesse, mais elle nĠy dŽroge point È (Lami).

1614 (juin) ƒdit de Louis XIII sur les privilges en matires de tailles excluant de lĠexemption les verriers Ç sĠils ne sont nobles dĠextraction È.

1615. Lettres de Louis XIII (Saint-Quirin).

1622 (aožt). Lettres de Louis XIII Ç aux gentilshommes de lĠart et science des verriers rŽsidant en notre pays È confirmant les privilges octroyŽs antŽrieurement (Saint-Quirin).

1623 (9 janvier). Lettres patentes de Catherine de Clves, duchesse de Guise et dĠEu, autorisant Franois Le Vaillant, Žcuyer, sieur du Courval ˆ Žtablir une verrerie au lieu dit ÒLe CourvalÓ(Pochet).

1655 (dŽcembre). Lettres de confirmation de Louis XIV aux Ç gentilshommes de lĠart et science de verrerie rŽsidans en notre royaumeÈ voir aussi ci-aprs (Saint-Quirin).

1655 (dŽc.). Lettres patentes de Louis XIV, confirmant que Ç lĠart et science de verrerie È ne dŽroge point ˆ la noblesse (Jourdan).

1671 (22 octobre). Concession accordŽe par Anne Marie Louis dĠOrlŽans (la duchesse de Montpensier) ˆ AndrŽ de Monchy, chevalier, Marquis de  SŽnarpont pour exploiter deux verreries au Courval (Pochet).

XVIIIe sicle

1727 (15 aožt 1727). Privilges de Louis XV (Saint-Quirin).

Tous ces privilges nĠont pas empchŽ ce que lĠont pourrait appeler des Òtracasseries administrativesÓ  qui commencent ds le XVI sicle : dŽfense de prendre de la terre dans les forts royales (janvier 1518), soumission ˆ lĠinspection des ma”trises royales des bois de particuliers (1543), limitation du nombre des fours, etc. (Saint-Quirin).

 

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2 Visite de Thomas Platter en pays verrier (1596)

Ç Le 29 avril [1596], en compagnie de plusieurs Allemands et de Monsieur Jacques Catalan, aujourdĠhui dŽcŽdŽ, nous avons quittŽ Montpellier par la route de Celleneuve [faubourg Ouest de Montpellier] : dans ce village, nous avons pris le petit dŽjeuner du matin. Nos avons traversŽ une fort et  nous avons atterri le soir dans un logement exŽcrable ; notre hŽbergement Žtait situŽ ˆ Saint-Paul, o se trouvent Žgalement les verreries quĠon appelle de ce nom* ; depuis Montpellier, cela fait quatre lieues. Nous avons passŽ la nuit chez un berger de chvres. Nous avons couchŽ prs du feu ; cĠŽtait au premier Žtage, lequel nĠŽtait couvert que de fagots, et mme pas planchŽiŽ ; une agrŽable odeur montait de lĠŽtable aux chvres, situŽe en dessous ! On nous a royalement traitŽs avec des Ïufs ainsi que du pain dur et noir. En revanche, nous avons eu droit ˆ du lait, un produit trs rare autour de Montpellier.

Le 30 avril au matin, de trs bonne heure, nous nous sommes rendus aux verreries, situŽes ˆ un quart dĠheure de marche de la maison du chevrier. Lˆ, nous avons vu des gentilshommes de la noblesse, en vtements de velours et de satin : face aux fours ils soufflaient le verre. DĠaprs ce quĠon nous a dit, la noblesse franaise jouit dĠun privilge (parmi dĠautres) en vertu duquel il est interdit ˆ quiconque de fabriquer du verre, sauf si le postulant-fabricant est nŽ de souche noble. Et voilˆ pourquoi les nobles ruinŽs auxquels lĠargent et la terre ont filŽ entre les doigts, sĠadonnent Žventuellement ˆ cette activitŽ. Bien sžr ils ont leurs gens, leurs serviteurs, qui prŽparent pour eux la matire premire : ces employŽs font donc bržler la plante appelŽe Kali ou salicor, et ils en tirent de la cendre qui sera utilisŽe pour fabriquer le verre. Le mme personnel de service se charge ensuite  de colporter ˆ travers villes et villages le verre ainsi obtenu afin de le vendre. Quant au travail des gentilshommes, il sĠopre exclusivement face aux fours ; ils soufflent le verre et donnent forme ˆ chaque objet selon son style propre ; ils utilisent pour cela un long tuyau de fer ; puis, quand le produit est portŽ au rouge de lĠincandescence, ils le remettent dans le four, jusquĠˆ ce que cela soit cuit ˆ point. Ce spectacle est extrmement plaisant, car la matire premire dont je parlais tout ˆ lĠheure donne des verres trs beaux, trs transparents ; nous en avons fait souffler de multiples formes sous nos yeux.

Ils nous ont servi, lors de notre venue, de la bonne soupe du petit dŽjeuner du matin, avec aussi du lait de vache trs gras ; certains dĠentre nous en ont consommŽ presque ˆ se rendre malades ; la raison en est quĠˆ Montpellier il est impossible dĠavoir du beurre ou du bon lait. CĠest seulement dans cette zone [du village de Saint-Paul] que les nobles qui habitent parmi ces verreries tiennent de bŽtail bovin : ils les font pa”tre dans les bois et prairies, le tout Žtant mis en valeur ˆ cet effet.

Aprs la soupe du matin, nous avons pris bien tranquillement le chemin du retour vers Montpellier. Nous ne sommes arrivŽs ˆ destination que dans la soirŽe, sur le tard. È

 

Ce compte-rendu dĠexcursion de Thomas Platter junior, Žtudiant en mŽdecine b‰lois, qui a sŽjournŽ ˆ Montpellier de septembre1595 jusquĠˆ la fin de 1598 est prŽsentŽ, ˆ partir de lĠŽdition allemande par Emmanuel Leroy Ladurie, Le Voyage de Thomas Platter 1595-1599, Fayard, 2000, deuxime volume du Sicle des Platter consacrŽ ˆ cette famille suisse qui montre une extraordinaire ascension sociale : le pre nŽ dans une famille pauvre, chassŽ par ses parents comme le petit Poucet et ses frres, a dž sĠagrŽger ˆ une troupe de mendiants pour survivre. Il devint un professeur renommŽ de latin de grec et dĠhŽbreu.

On admirera la prŽcision na•ve de Thomas qui rŽsume en quelques lignes la fabrication du verre par nos gentilshommes. On peut se demander sĠils gardaient habituellement leurs habits de velours et de satin pour souffler le verre. On sait quĠils utilisaient une sorte de blouse asymŽtrique avec une large manche au bras gauche, assez ample pour protŽger la main (Piganiol). Pour la visite de ces ÒAllemandsÓ, on a peut-tre organisŽ une petite mise en scne. Thomas reprend la tradition de nobles, par ailleurs ruinŽs, seuls autorisŽs ˆ exercer le mŽtier de verrier. Le colportage des produits par le personnel de la verrerie dont il est question Žtait formellement interdit (Saint-Quirin, ˆ propos de la charte des verriers du Languedoc). Ce sont les marchands qui Žtaient chargŽs de ce commerce libre de taxes (pŽage etc.). En bon Suisse il relve la rudesse des conditions dĠhŽbergement et la raretŽ du beurre dans la rŽgion. On notera que ces verriers languedociens Žtaient aussi des Žleveurs de bovins pour lesquels ils jouissaient de privilges (voir 4Ħ de la ÒcharteÓ ci-dessus).

Saint-Quirin, qui nous a mis sur la voie de ce reportage, connaissait certainement lĠŽdition de la traduction franaise du voyage de Thomas due ˆ M. Kieffer, FŽlix et Thomas Platter ˆ Montpellier, Camille Coulet, Montpellier, 1892 (Notice bibliographique sur Thomas II Platter, dans lĠŽdition de Leroy Ladurie).

* LĠitalique correspond ˆ des annotations postŽrieures de Thomas Platter lui-mme (L L).

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3 Histoire de l'ArmŽe de CondŽ - ThŽodore Muret - Paris 1844.


        Extrait tome I p.34 et 35


Ç Dans ce fonds de l'Žmigration sŽrieuse et respectable, n'oublions pas les Gentils hommes Verriers.

C'est lˆ un dŽtail curieux et peu connu. Il y a plusieurs sicles que les rois de France appelrent, de

la Bohme, quelques gentilshommes ma”tres en verrerie, pour introduire dans le royaume cette indus-

trie nouvelle. Ces Žtrangers s'Žtablirent sur les confins de la Champagne et de la Lorraine , dans la vallŽe

d'Argonne, contrŽe boisŽe, qui offrait en abondance des alimens ˆ leurs fournaux, comme aussi des dŽ-

bouchŽs ˆ leur fabrication, ˆ cause du voisinage des vignobles champenois. Un certain nombre de famil-

les, descendantes ou hŽritires de ces premiers verriers, continurent d'exercer, dans les mmes lieux,

un Žtat qui, selon les privilges accordŽs ˆ cet effet, ne constituait pas dŽrogation pour leur no-

blesse. Le travail mme de souffler la matire en fusion, travail qui, d'aprs les titres de concession,

devait tre exclusivement rŽservŽ ˆ des bouches nobles , ne faisait pas dŽroger ces gentilshommes. Ils

formaient ainsi une petite colonie ayant son existence ˆ part, isolŽe du reste du monde, et dont les

membres s'alliaient toujours entre eux. Simples de moeurs, endurcis ˆ la fatigue, grands chasseurs, excellens

tireurs, coeurs loyaux sous leur enveloppe un peu rustique , les gentilshommes verriers, qui avaient fourni

ˆ la France un grand nombre de bons officiers, se trouvrent tout prts, quand vint la RŽvolution,

 ˆ marcher sous le drapeau de la monarchie.

A l'appel du prince de CondŽ, qu'ils entouraient d'un attachement tout spŽcial, en sa qualitŽ de sei-

gneur du Clermontois dont fait partie la vallŽe d'Argonne, ils s'Žtaient empressŽs d'Žmigrer, aban-

donnant leurs propriŽtŽs , leur industrie. Il y eut onze combattans dans la seule famille de Juillot ,

cinq dans celle de Dorlodot , onze parmi les Brossard, dix parmi les Bonnay, quatre chez les Foucauld,

sept chez les Finance, quinze chez les Bigault, huit chez les Duhoux. Le comte de ViomŽnil

sortait de cette dernire famille. Les gentilshommes verriers formrent ainsi , sous les ordres du prince

de CondŽ, deux compagnies presque entires. È



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[1] CĠest lĠEncyclopŽdie de Diderot.

[2] LĠEncyclopŽdie indique au sujet des soudes (article Verrerie, Vol. XVII, p.127) : Ç Celles de Languedoc quĠon cultive aux ”les Stes Marie et dans le diocse de Narbonne sont assez bonnes. Elles sont connues dans ce pays sous le nom de salicor. Le verre qui en rŽsulte parvient rarement ˆ un affinage bien parfait ; il est cependant marchand È. Il sĠagit probablement de la salicorne ou dĠune plante maritime voisine dŽnommŽe cali majus cochleato femine  par Bosc dĠAntic (citŽ par Piganiol p. 63). DĠaprs ce savant du XVIII sicle, lui-mme dĠorigine languedocienne, les verriers du Languedoc utilisaient ses cendres. Le mot Ç pierre È est trompeur et les textes semblent dŽsigner une prŽparation ˆ base vŽgŽtale aprs sa solidification.

[3] Ë cette Žpoque le roi RenŽ, protecteur des arts, est aussi duc de Lorraine et de Bar. Jean de Calabre est son fils.

[4] Cette redevance est ˆ rapprocher de celle que paye de nos jours le dŽtenteur dĠun brevet pour quĠil soit maintenu en exercice.

[5] Dont le descendant le duc de Castries, membre de lĠAcadŽmie Franaise, a prŽfacŽ la rŽŽdition de lĠouvrage de Saint-Quirin.

[6] Voir ˆ lĠarticle Noblesse du Robert la citation du Dalloz : Ç La noblesse rŽsulte aujourdĠhui de la possession dĠun titre nobiliaire È.

[7] Selon la classification ÒfineÓ de GŽrard de Sde, AujourdĠhui les nobles, Paris, 1975, citŽ par Werner, la noblesse dĠorigine carolingienne est dite Ç noblesse immŽmoriale È et prŽcde la noblesse fŽodale. On discute encore sur la rŽalitŽ dĠune Ç noblesse È antŽrieure ˆ la fŽodale (Werner).

[8] En liant Žtroitement lĠŽtat Ç noble È ˆ la possession de privilges hŽrŽditaires, nous introduisons un ŽlŽment restrictif, mais cĠest dans ce cadre seulement que se situent les gentilshommes verriers.

[9] Ë rapprocher des droits liŽs ˆ la filiation (le sang) et ˆ la rŽsidence (le sol).

[10] Sde, citŽ par Werner, fait remonter ces premires lettres ˆ 1270 sous le rgne prŽcŽdent, celui de Philippe le Hardi .

[11] Dans lĠEncyclopŽdie, la verrerie est classŽe dans les arts mŽcaniques. Voir aussi lĠadage Ç orphvre ne dŽroge point È.

[12] Il est possible quĠil y en ait dĠautres. Elles ne figurent pas dans la documentation consultŽe.

[13] Saint-Quirin - homonyme dĠun site verrier mosellan dans le Nord de la fort vosgienne (Barrelet), repris dans la dŽsignation sociale dĠune importante verrerie lorraine fusionnŽe avec Saint Gobain en 1855 (Piganiol) - , est le pseudonyme de Arthur Quirin de Cazenove (1861-1914), colonel de son Žtat, et alliŽ dĠune famille de gentilshommes verriers (PrŽface de lĠŽdition de 1985). Nous utilisons sa transcription dĠune copie du XVIIe sicle et nĠen contesterons ni lĠauthenticitŽ ni la fiabilitŽ.

[14] En les transcrivant dans la grammaire et la morphologie dĠaujourdĠhui.

[15] Nous estimons la somme ˆ environ 70 000 de nos francs.

[16] Nos recherches effectuŽes dans le Dictionnaire de la noblesse de Chenaye-Desbois, Paris, 1872 pour de la Roque et Robert, et dans la collection dĠHozier pour de la Roque, sont restŽe vaines concernant une Žventuelle noblesse antŽrieure de ces familles verrires ; nul doute quĠelles furent  inscrites au catalogue des gentilshommes verriers tenus par le viguier de Sommires.

[17] Maynard Žtait du Midi, nŽ ˆ Toulouse, mort ˆ Aurillac.

[18] Est-ce Saint-Amant (Marc-Antoine Girard, sieur de) pote franais (prs de Rouen v.1594-Paris, 1661) ?

[19] On dit aussi dĠextraction mais le terme est parfois appliquŽ restrictivement ˆ ceux qui ont reu la noblesse par Ç lettres royaux È et ne sont pas issus de la noblesse fŽodale (Sde citŽ par Werner).

[20] Chez lĠauteur, 1, Impasse Jussieu, 11 100 Narbonne.

[21] OccupŽs par la France depuis 1552 (Henri II), annexŽs au traitŽ de Westphalie (1648).